Christian Vieaux, décembre 2023

Mise à jour[1] en mars 2024


[1] Celle-ci est motivée par de récentes déclarations publiques (conférence de presse du président de la République du 16 janvier 2024, discours aux recteurs de la ministre Amélie Oudéa Castera annonçait le 25 janvier 2024, entretien de Gabriel Attal [alors ministre de l’Éducation] dans madameFIGARO du 30/11/2023).

Ce document se base sur les idées de Nelson Goodman relatives à l’implémentation[1]. En l’occurrence, partant du paradigme fondé par l’auteur selon lequel une œuvre accéderait aussi – pleinement – à son statut d’art, au-delà de sa seule production, à travers sa mise en œuvre et/ou son activation dans un contexte social donné, il en envisage les prémices de sa transposition dans le contexte de l’éducation artistique.

Nous rappelons que l’éducation artistique, d’assez longues histoires, porte au-delà de la seule étude isolée de l’œuvre ou d’un répertoire de techniques pour la réaliser (en tant qu’objet ou références à savoir connaître et/ou reproduire). En France comme dans d’autres pays[2] (à niveau d’ambition et d’organisation éducative comparable), selon leurs politiques propres, elle inclut désormais principalement trois modalités : une pratique en tant qu’expression personnelle[3], une réflexion et/ou une historiographie sur les données et les enjeux de cette pratique sensible[4] et une rencontre par les élèves/étudiants/citoyens avec l’œuvre et la culture[5]. Plus particulièrement, le texte examine aussi sous ces angles quelques éléments de l’évolution historique de cette éducation. 

Le propos considère l’apprentissage du fait artistique et culturel de la rencontre (qui est un « pilier » parmi deux autres de l’EAC française[6]), dans une conception plus large que la seule réception de l’œuvre (qui ne peut avoir lieu que ponctuellement – en quelque sorte un pari collectif sur le kairos d’une éducation esthétique). Si la rencontre est une des composantes essentielles de l’éducation artistique « moderne », elle devrait se construire en intentionnalité et en réitération (en conséquence, pouvoir s’exercer régulièrement). Pour cela, il s’agit de s’interroger sur l’intérêt de l’implémentation dans l’art en tant que notion utile (non une procédure technique) à la réflexion en éducation artistique : implémenter cette implémentation dans l’École !

Il s’appuie pour cela sur de très nombreuses expériences d’accueil d’œuvres en établissement, les reliant au plus haut intérêt éducatif qu’il y aurait à y soutenir des lieux d’art et de culture (espaces d’une implémentation/activation/socialisation de l’œuvre). Cette conception avait visiblement retenu l’attention du Premier ministre Gabriel Attal lors de son passage antérieur à la tête du ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse[7].

Cette réflexion est également motivée par une nécessité, celle d’apprendre mieux à partager le sensible[8]. C’est peut-être une urgence de notre temps tant on peut observer que dans de nombreux pays, où elle est pourtant installée, la démocratie est remise en cause comme modèle et comme pratique. Plus concrètement, sur le plan de la rencontreavec l’œuvre, l’art, la culture, il s’agit alors d’aller résolument plus loin que le format de la « sortie » éducative, certes très utile, mais aussi trop ponctuelle ou rare, de plus en plus exposée aux contraintes de ses coûts économiques et des réalités de la géographie culturelle. Il invite donc, dans et hors l’École, à compléter cette situation traditionnelle (au musée, au théâtre, au concert, etc.) de la réception des œuvres authentiques (nécessaire) par celle du partage de la création en établissement, dans les domaines où cela est possible et prend un sens pertinent. C’est-à-dire d’installer des dispositions éducatrices socialisées où, régulièrement, les élèves/étudiants/citoyens puissent apprendre – et dans une dynamique de projet – à créer des conditions (même modestes) pour que d’autres qu’eux puissent recevoir, éprouver et débattre une proposition artistique. 

Ce ne serait peut-être plus alors seulement d’une somme de « lectures » individuelles de l’œuvre dans des situations rares dont il est question (une choralité plus ou moins « restituante »), mais aussi d’une « écriture » collective et plus fréquente de l’art (une coopération plus assurément « instituante »). Ce qui dans cet usage, possiblement, réouvrirait des perspectives à la question toujours délicate des « fonctions » de l’art, y compris dans l’éducation artistique.


[1] L’activation, selon une autre expression de Nelson Goodman.

[2] cf. Conférences de Lisbonne (2006) et de Séoul (2010).

[3] C’est l’un des paradigmes de la reconnaissance de l’individu sensible en éducation artistique.

[4] C’est la nécessaire dimension réflexive sous-tendant un ensemble de passages : du sensible au sensé, des expériences aux connaissances, d’une rétroaction (métacognition) entre l’agir et le réfléchir, entre des régimes de l’intuition et de l’intention, entre sérendipité et remodelage, etc.

[5] C’est, au-delà de la cohabitation de pratiques sensibles plurielles, une expérience située d’une altérité qui en « institutionnalise » la possibilité plus générale dans la vie.

[6] En l’occurrence, depuis 2013 : pratiques, rencontres, connaissances.

[7] « Je distingue deux leviers dans le domaine culturel : l’expérience propre et les enseignements. Ma priorité, partagée avec la ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak, est de développer l’expérience culturelle au sein de l’école, à travers le Pass culture et en accueillant par exemple des résidences d’artistes. Cela a été expérimenté dans le Grand Est, où certaines écoles sont labellisées lieux d’art et de culture », in Entretien avec Mr Gabriel Attal, ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, par Céline Cabourg et Joseph Ghosn, in madameFIGARO, publié le 30/11/2023, https://madame.lefigaro.fr/enfants/education/gabriel-attal-je-veux-rehabiliter-la-notion-de-culture-generale-20231130

[8] Nous empruntons évidemment cette expression à Jacques Rancière : Le partage du sensible : esthétique et politique, La Fabrique éditions, 1er janvier 2012.


Sommaire :

Présentation

1.    Préambule

Un opportunisme en « théorie » et des questions en « action »

L’implémentation dans l’art, elle aussi entre consensus et querelles rémanentes en EAC ?

Faire un système d’EAC ou servir un système ?

Un ailleurs des praticiens

De la nécessité des lieux d’art et de culture en éducation artistique « moderne »

2.    L’implémentation des œuvres (kézako ?)

Implémentation, définitions :

Une source théorique à se rappeler, une autre plus praticienne

Des opérations à objectiver

Synthèse de l’implémentation dans l’art chez Goodman

Fig. 1. Fonction, fonctionnement, mise en œuvre de l’œuvre

Lire ou relire maintenant Nelson Goodman : L’implémentation dans les arts

3.    Trois paradigmes des enseignements et de l’éducation artistiques à l’aune de l’implémentation

Produire, recevoir, partager

Balises historiques

Partager/Faire partager le sensible

4.    L’implémentation (activation de l’œuvre et/ou du fait artistique et culturel) : une notion utile donc en éducation artistique ?

Une composante du parcours commun de formation ?

5.    En annexe

[1] L’activation, selon une autre expression de Nelson Goodman.

Laisser un commentaire